Confinement polaire

Confinement polaire

Les Engagés - retour d'expéditions

Thomas, Maxime et Valentin sont Les Engagés : tous les ans, ils se fixent un défi différent. En 2017, ils ont traversé le Groënland à ski. En 2018, ils ont escaladé l'Aconcagua, plus haut sommet d'Amérique latine. En 2019, ils ont rallié le Cap Nord à ski et en bateau gonflable. Start-uppers, diplômés d'école de commerce, ils n'ont pas au départ de formation particulière à l'aventure. Mais justement, ils se lancent à chaque fois dans des disciplines qu'ils ne maîtrisent pas - en misant évidemment sur une préparation hyper exigeante. Car leur credo, c'est justement celui-là : il faut oser le premier pas. Ils nous ont raconté en quoi leur expérience au Groënland (dont ils feront bientôt un film) peut être utile en période de confinement. 

À l’évocation des pôles, ce sont des images d’espaces infinis qui viennent à l’esprit. Pourtant, la vie s’y déroule en ambiance confinée, les sorties se préparant avec minutie. Celles-ci sont menées de façon protocolaire et jamais à l’air libre. Les territoires polaires sont en effet des milieux hostiles, mortels.

Le risque y est partout et invisible. A l’image du froid extrême qui y règne. A l’image, aussi, du virus que nous affrontons.

 
 
La vigilance face aux dangers est permanente tant la moindre erreur peut avoir de lourdes conséquences pour soi et pour les autres.

Le parallèle avec la situation que nous vivons actuellement, frappant, nous invite à cette réflexion.

Le trio gagnant : respect, franchise, empathie

Lorsque nous sommes partis traverser le Groenland pendant 31 jours, nous nous sommes retrouvés confrontés du jour au lendemain à une situation d’hyper-intimité. La situation que vivent des millions de français qui se retrouvent actuellement confinés.

Le respect, la communication, et l’empathie ont aidé notre équipe à bien vivre cette promiscuité en milieu extrême.

Le respect
D’autant plus que nous nous connaissions mal, nous évitions les familiarités que nous nous serions peut être permises dans la vie usuelle. Le confinement extrémise les perceptions. Pour maintenir la concorde, nous veillions à être excessivement aimables les uns envers les autres et ce, malgré l’inconfort, le froid et la fatigue. Cela change tout. Quand chacun est serviable, participe aux tâches collectives, cela crée une osmose rassurante et authentique.⁠

La franchise
Elle désamorce les disputes. Il faut se dire les choses. Chacun a sa manière de fonctionner, de penser, de réagir, de rêver. Si nous ne communiquons pas, personne ne devine nos pensées, en particulier ce qui nous dérange. Si un jour je craque, ce sera ma responsabilité de ne pas l’avoir confié plus tôt. Garder les choses pour soi, même les plus petits désagréments est contre-productif. L’erreur est humaine et l’important c’est de l’aborder de façon constructive.⁠⁠

L’empathie
Si c’est dur pour moi, c’est que c’est dur pour l’autre. Pour créer une amitié et un esprit d’équipe, il est essentiel de se mettre à la place de l’autre. Connaître ses vulnérabilités et savoir reconnaître les siennes pour se compléter et les combler. Une bienveillance qui s’accompagne d’exigence : tolérance ne veut pas dire complaisance envers les caprices bien entendu !

 

Se rendre agréable aux autres
Passer plusieurs jours d’affilée les uns sur les autres finit vite par tendre tout le monde, surtout dans une tente exigüe ou dans un appartement microscopique. La clé : chacun conserve un coin attitré, son petit cocon, que les autres doivent respecter. C’est parfois compliqué car personne n’est habitué à cet inconfort, ce manque d’espace, de souffle.

Et pourtant, dans l’intérêt du groupe, il faut savoir faire des compromis. Thomas, par exemple dormait au milieu de la tente en Laponie. Il n’avait donc pas de rangement sur les poches de côtés de la tente. Valentin et Maxime lui donnaient une partie de leur minuscule espace pour qu’il puisse, lui aussi, ranger ses affaires.

Il est crucial d’apprendre à connaître les personnes avec qui on vit. Ne pas voir les envies, les habitudes, les gênes de l’autre comme des caprices, mais au contraire, faire en sorte de s’inscrire soi-même aussi dans une démarche de compromis, de rapprochement, voire d’adoption des comportements de l’autre.

Le soir, Valentin préparait à manger et il n’avait pas le temps de se changer, d’enfiler sa grosse doudoune, de s’adosser deux minutes pour se reposer. Alors Maxime et Thomas rangeait ses affaires pour lui, et ils lui installaient un petit dossier pour qu’il soit aussi bien que les autres.

Ne pas se prendre pour plus fort que l’on ne l’est⁠
Nous pensons qu’il faut être soi-même tout en mettant de l’eau dans son vin, mais pas plus qu’il ne faut. Jouer un rôle ajoute une contrainte à une épreuve de confinement déjà assez compliquée. Parfois, nous voulons nous montrer invincibles devant les autres. Masquer nos faiblesses pour prouver qu’on est capable de surmonter l’épreuve, ou pour ne pas passer pour le « boulet de service ». En réalité, il s’agit rarement de faiblesse mais plutôt de vulnérabilité. Chacun est fort, tout en restant vulnérable. Mieux vaut accepter notre vulnérabilité et être transparent avec les autres, plutôt que de la cacher. Dissimuler trop longtemps, c’est prendre le risque de se révéler trop tard. Trop tard pour soi et peut-être trop tard pour le groupe, que l’on risque d’entrainer également.

En expédition, on doit se jauger les uns les autres. Pour savoir quel est notre état par rapport à celui des autres. Celui qui est plus en forme, doit savoir fournir l’effort pour aider les autres. Le plus fatigué doit le dire, car s’il se tait et qu’il finit par se blesser, ce sera sa responsabilité.⁠ Quand les conditions durcissent, la moindre erreur peut avoir des proportions démesurées. Or tout nous pousse à l’erreur. C’est pour cette raison qu’il faut être transparent, et qu’on a le devoir de ne pas jouer de rôle. ⁠

Le confinement devient une opportunité incroyable de découvrir en profondeur vos proches.

Redécouvrir leurs qualités, leurs défauts, les aspérités de leur personne et ce qui les rends uniques et chers à vos yeux.

 

Et si quelqu’un ne va pas bien dans un endroit confiné ?

Tout le monde a ses limites et chacun finit à un moment par craquer.
L’éruption peut prendre différentes formes : la rage, la tristesse, la panique, l'humour, la frustration, la folie … les câlins. Quand vous passez des centaines d’heures enfermé avec quelqu’un, il faut s’attendre à l’une ou l’autre de ces manifestation et savoir les gérer, d’autant plus qu’elles se déclarent souvent de façon imprévue. Cela peut arriver à n'importe qui, n'importe quand. ⁠ Par exemple, en Laponie, Maxime a été malade le 5e jour de l'expédition, impossible de tirer son traineau, impossible d’avancer. Il était inutile de lui crier dessus ou de lui demander de continuer malgré tout, en dépit de l’importance des enjeux (en expédition, il faut constamment avancer sous peine d’échouer). À ce moment-là, il a fallu évaluer précisément l’état de Maxime et s'adapter collectivement.

Maxime a d’abord poursuivi, espérant que son état s’améliorerait après avoir mangé et bu. Mais au bout d'une heure de marche, sa situation ne cessait d'empirer. Valentin et Thomas ont donc décidé de tirer le traineau de Maxime à tour de rôle, une charge de 140kg. C'était lourd, mais indispensable pour progresser

Il faut savoir fournir l'effort pour l'équipe quand c'est nécessaire : l'intérêt collectif prime par rapport à l'individu.
Le groupe a posé́ le camp plus tôt que prévu. Nous avons appelé le médecin par téléphone satellite et effectué les premiers gestes de soins. Maxime est resté confiné dans son duvet pendant que les deux autres veillaient sur lui. En restant à bonne distance car il avait un virus. Une situation que bon nombre d’entre nous ont malheureusement vécu ou risquent de vivre prochainement.

C’est normal d’avoir peur

Le premier réflexe c’est la peur.
Pourquoi ? Parce que n’ai pas le contrôle. Quand je marche sous la tempête avec le vent de face qui hurle, le froid qui m'arrache les joues, la neige qui me fouette le visage, je ne vois rien à trois mètres et j'avance vers l’inconnu… J'ai peur mais j'avance. La douleur, le froid et la peur sont des informations utiles et la peur qu'ils entrainent est humaine. Elle est saine pourvue qu’elle ne soit pas subie mais maîtrisée, qu’elle ne tétanise pas mais pousse à l’action. Garder son calme, rester rationnel et en mesure de prendre les bonnes décisions.

Pour garder notre calme quand dehors le chaos fait rage, nous commençons par bien respirer et faire le vide en nous. Nous nous concentrons sur l’objectif. Ce n’est qu’une tempête, elle passera. Elle durera peut être deux jours, peut-être six semaines, mais nous la surmonterons. L’essentiel c’est de rester calme et concentré. Si quelqu’un craque, c’est aussi le rôle des autres de le rassurer. Et si rien ne le rassure, il faut prendre une décision malgré tout. Avancer ou poser la tente : il faut décider. Rester ici à en discuter ? Nous risquerions de geler. Alors on réfléchit, on discute, on prend une décision et on l’applique.

Au fond, l'important n'est pas tant que ce soit la meilleure décision. L’important, c'est qu’elle soit prise à temps et que tout le monde avance, agisse vers le but commun.

En expédition, nous veillons toujours à ce que la pression de l’environnement extérieur n’altère pas notre moral et ne l’emporte jamais sur notre raisonnement.⁠ Faisons de même pour traverser cette période difficile.
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Les Engagés cherchent à produire leur premier film, Nuit Polaire. Pour les soutenir, c'est ici, et les suivre sur Insta, là